Musique et sport…
Colloque à la Haute école de musique de Lausanne en janvier 2020.
Ravie d’avoir participé à ce colloque. Conférences et ateliers se sont succédés.
Au programme : une subtile comparaison entre les sportifs et les musiciens de haut niveau.
La présence et le témoignage de sportifs de haut niveau ajoutait une note de sincérité à ce colloque.
Leur incrédulité face à la réalité de la vie des musiciens était intéressante à entendre. La solitude, le travail acharné et technique permanent, la non prise en compte du corps… Voilà les grands défis permanents, non pas à relever, mais à transformer!
L’entrainement des sportifs évolue! Faisons évoluer la pratique musicale.
Peut-on relever ce défi pour les musiciens de haut niveau ? L’évolution des techniques, une pratique différente, plus respectueuse du corps et du cerveau – les neurosciences nous enseignent de belles choses… Je crois que nous pouvons le faire! Nos musiciens méritent d’être accompagnés, encadrés, chouchoutés, coachés mentalement et physiquement.
Une question de moyens ? Pas seulement.
Qu’en pensez-vous ?
Osons des idées innovantes!
Durant le colloque à Lausanne, une chose m’a interpellée : les sportifs ont décrit comment, depuis quelques années, ils diminuent le travail technique pur lié uniquement à leur sport, au profit d’un entrainement toujours aussi intensif, mais plus varié. Du style sport annexe, pratique artistique, activités de groupe… Ils ont décrit ainsi une efficacité accrue de leur entrainement avec moins lassitude, plus de plaisir, plus d’efficience.
Les neurosciences sont en train de mettre en évidence l’importance pour le cerveau de à la fois s’appuyer sur des actes répétitifs, ET découvrir sans cesse des choses nouvelles car le cerveau adore apprendre.
Comment serait-il possible d’utiliser cette force dans l’apprentissage ou « l’entrainement » du musicien ?
Une autre idée serait dans l’amélioration de la transversalité entre les différents instruments.
Personnellement, dans le but d’aider mieux les musiciens, j’ai passé du temps à prendre un cours de plusieurs instruments (le plus grand nombre possible) afin de comprendre les difficultés techniques spécifiques de chaque instrument et ainsi comprendre des axes d’aide importants pour chaque type d’instrument.
Durant cette période, j’ai pris énormément de plaisir à découvrir les sensations données par chaque type d’instrument…
Je pense que les musiciens sont tellement spécialisés dans leur instrument dans un but de performance, que le fait de pratiquer très ponctuellement un autre instrument, juste pour gagner en sensations, sans objectif de performance, pourrait être une récréation très salutaire pour votre cerveau.
La comparaison entre les sportifs et les musiciens ne date pas d’hier.
Très pertinente sur certains points, cette comparaison me paraît inefficace sur d’autres points.
Très peu de sports sont aussi statiques que la pratique musicale. Le tir à l’arc est certainement le sport qui se rapproche le plus corporellement de la pratique instrumentale : une position statique très précise servant la précision du geste.
La pratique sportive est en effet globalement orientée essentiellement en direction de la force utilisée pour le déplacement dans l’espace.
Le corps du musicien, lui, doit tout au contraire s’adapter à une position de départ (que nous appelons la position zéro dans nos formations) très statique dans le but de donner des bons points fixes aux parties utiles au jeu instrumental.
A la base, le corps humain est plutôt construit pour l’efficacité dans le déplacement dans l’espace plutôt que dans une pratique précise de façon statique.
Et cette différence va obliger le musicien à s’adapter à cette contrainte physique contraire à sa physiologie de départ.
Ensuite, une fois cette comparaison établie, nous pouvons aussi comparer l’évolution des apprentissages et des manières de pratiquer.
Là où le sportif a été obligé de tenir compte du fonctionnement du corps durant le geste sportif, le musicien n’a pas été assez initié à ce concept : le corps est l’instrument que tous les musiciens ont en commun, et la manière de l’utiliser va influencer le son, la santé, et l’expression artistique. Et pourtant il est le plus souvent mal utilisé.
Vous pouvez donc apprendre de la pratique sportive… Mais il est mieux de ne pas faire certaines passerelles. La force par exemple n’a pas sa place. Ce n’est pas la force qu’il faut développer! Force sans souplesse n’est que ruine du corps!
Voyons plutôt la pratique sportive comme un prérequis à une bonne santé physique et mentale.
Quel sport pratiquer plutôt qu’un autre pour un musicien ?
Intéressant sujet!
Une question m’est souvent posée : quel sport pratiquer quand on est musicien ?
J’ai toujours été surprise par le rapport du musicien au sport… Tout en sachant que c’est un prérequis à une bonne santé, les freins sont nombreux. Le temps est certainement une des principales causes d’absence de pratique sportive. Mais il y a aussi le fait de ne pas savoir quelle activité choisir en pleine conscience…. Cela rend le musicien passif face à cette question. Et le plus souvent, il procrastine sur ce choix et ne prend pas de décision tout en ressentant une certaine culpabilité de ne pas passer à l’action.
Pour avancer, il devient important d’être capable de répondre à ces 3 questions : pourquoi ? Quel sport ? Dans quelles conditions ?
Pourquoi ?
Parce que c’est bon pour la santé, autant physique que morale. Et du coup, parce que c’est bon pour la musique!
Le musicien est fragile face au manque d’activité physique pour 2 raisons principales :
- l’utilisation très statique du corps pendant des temps exagérément longs
- la spécialisation à outrance des gestes tout au long de la carrière le poussant à sublimer des zones d’activité au détriment d’autres… Or, le cerveau a besoin d’un fonctionnement systémique. Sinon il se désorganise aussi bien mentalement que physiquement. De nombreuses pathologies dont les musiciens peuvent être victimes en sont la conséquence. Et les difficultés de progression ou d’exécution, le trac, sont aussi directement liés à ce phénomène!
Nous pouvons ainsi en déduire que la pratique sportive va aider le musicien sur de nombreux plans. Et que cela doit impérativement être une aide et pas une contrainte supplémentaire! L’idée n’est donc surtout pas de se remettre dans une idée de performance! Le « sport plaisir » est l’idée de base, même si vous n’êtes pas sportif.
Quelle activité pratiquer ?
Toujours dans l’idée de pratiquer une activité sportive en annexe de votre pratique instrumentale, nous arrivons aujourd’hui à la seconde question : quelle activité pratiquer ?
Je voudrais vous raconter l’histoire de Julie…
Julie est pianiste et elle a 25 ans. Je l’aide depuis quelques mois pour une tendinite persistante à la main droite.
Au cours du traitement, elle prend conscience combien son corps est habitué à travailler certaines zones et pas d’autres. Elle prend conscience combien elle néglige certaines parties de son corps, celles qui semblent ne pas être utiles directement au jeu instrumental.
Et un jour Julie arrive, et me dit la chose suivante : « j’ai décidé, je vais me mettre au sport. Je vais aller nager au moins deux fois par semaine. »
Je regarde Julie avec intérêt, et je lui pose la question suivante : « Julie, aimez-vous l’eau ? »
Surprise par ma question, elle réfléchit quelques secondes, semble quelque peu désorientée, puis me dit : « non en fait je n’aime pas l’eau ! »
Bien évidemment, ma réponse est immédiate : « pourquoi aller nager alors? »
« Parce que l’on m’a dit que la natation était très bonne pour la santé. Et que avec la natation, je ne risquais pas d’abîmer mes mains. »
À travers cette histoire vraie, vous pouvez réaliser à quel point un choix arbitraire risque de vous amener tout simplement… À ne jamais pratiquer d’activité sportive.
La motivation est le premier moteur à toute activité.
Et pratiquer une activité parce que c’est bon pour la santé, n’a jamais été une motivation suffisante pour permettre de la pratiquer avec assiduité dans le temps.
Pour terminer l’histoire de Julie, nous avons discuté de ses goûts, de ses sensations. J’ai essayé de l’aider à se projeter et à visualiser ce qu’elle aime réellement faire comme activités en dehors du piano. Julie adore être dehors et pratiquer plutôt des activités relativement calmes. Son choix s’est donc porté vers le tir à l’arc en campagne. Elle a pris énormément de plaisir à aller marcher entre les différentes cibles, ajuster son tir, sentir son corps se préparer à lâcher la flèche avec la bonne tension. Et ensuite elle m’a réellement transmis comment pratiquer cette activité l’avait aidée dans sa concentration, et dans sa juste tension au piano. Et surtout combien elle avait pris plaisir à pratiquer une autre activité qui lui faisait du bien au sens général du terme.
Peut-être pensez-vous que le choix de Julie de pratiquer du tir à l’arc en campagne est assez étrange comme choix d’une activité sportive.
Il est vrai que souvent, dès que l’on pense activité sportive, on pense efforts soutenus, développement de force, transpirer, et peut-être même en baver un peu.
Et si nous pouvions juste accepter d’être plus doux avec nous-mêmes, d’écouter nos aspirations et nos besoins, de prendre le temps de réfléchir à ce qui est réellement bon pour nous ?
Avant de vous lancer dans une activité sportive quelconque, n’oubliez pas de vous interroger sur ce que vous aimez vraiment, et quelles sont vos besoins personnels.
Pensez dans la durée, et éventuellement faites-vous aider juste par une oreille bienfaisante, afin de faire un choix plus conscient, plus adapté, et qui pourra réellement vous apporter du bienfait sur le long terme.
Si contrairement à Julie vous aimez les efforts soutenus, vous aimez transpirer et bouger fort, alors surtout ne vous gênez pas. L’essentiel est de pratiquer l’activité de votre choix, celle qui sera bonne pour vous et uniquement pour vous.
Vous voyez que je ne peux pas vous apporter de réponses précises sur le choix d’une activité sportive. Mais si aujourd’hui je vous aide à réfléchir plus consciemment, j’ai rempli ma mission.
Dans quelles conditions aimeriez-vous pratiquer une activité sportive ?
Il est possible que la réponse à cette question ait une influence sur le choix de l’activité que vous allez pratiquer.
Et la prise en compte du facteur temps va être capitale.
Mon expérience avec les musiciens me montre à quel point le facteur temps influe sur sa vie entière.
Il ne faut pas se leurrer, même s’il est possible et même souhaitable de diminuer parfois le temps de travail technique à l’instrument, rien n’est magique et le temps passé à l’instrument est un facteur d’amélioration incontournable du jeu instrumental.
Les musiciens qui réussissent à prendre plaisir dans leur art et parviennent à en vivre, ont le plus souvent créé une discipline personnelle bien pensée.
Mais même si le temps passé à l’instrument est un facteur non négociable pour progresser et toucher l’excellence, il est également nécessaire d’apprendre à le gérer.
Lorsque l’on parle de gestion du temps, le plus souvent vous pensez : combien de temps de technique, combien de temps pour pratiquer chaque oeuvre, de combien de temps ai-je besoin pour me préparer à un concert, une audition, un examen ?
Or, nous l’avons vu, penser à entretenir son corps et la santé de son cerveau est capitale.
Les neurosciences, encore une fois, montrent à quel point le cerveau a besoin d’être multitâche, c’est-à-dire qu’il a du mal à se satisfaire sur le long terme de ne faire qu’un seul type d’activité.
Il est ainsi aisé d’en déduire que pratiquer une autre activité que l’activité musicale n’est pas du tout une perte de temps.
Mais, comme la discipline va être de mise une fois de plus pour introduire cette activité dans votre emploi du temps, ce facteur ne doit pas être pris à la légère. Sous peine d’échouer dans ses bonnes résolutions relativement rapidement.
Je n’ai qu’un seul conseil : soyez gentils avec vous et en même temps lancez-vous pour tenter de découvrir, par la pratique, comment vous pouvez intégrer ce qui vous plaît dans votre emploi du temps de façon crédible.
Car une fois de plus, le risque est d’échouer sur le long terme. Et ce serait vraiment dommage, parce que vous risquez alors de renoncer à toute activité autre que votre pratique instrumentale uniquement à cause d’une mauvaise expérience se transformant en croyance limitante dans la durée.
Mémorisez-vous le travail fait jusqu’à cette étape : vous avez compris qu’une activité sportive était indispensable à votre bien-être, vous avez réfléchi au type d’activité que vous vouliez pratiquer, et vous risquez juste d’échouer à la troisième étape : celle de l’intégration dans votre emploi du temps.
Quel dommage !
À cette étape, j’ai deux conseils à vous transmettre :
– commencez doucement. Ne vous disciplinez pas trop vite, testez vos sensations, et ne cherchez pas un résultat immédiat si ce n’est juste une recherche de plaisir. Généralement, les grandes décisions du type : « je vais pratiquer cette activité deux fois par semaine dans telle tranche horaire », ont toutes les chances d’échouer sur le long terme. Le changement est bien trop brutal pour votre cerveau et votre corps. Et votre emploi du temps se retrouve bousculé beaucoup trop vite. Alors que si vous tentez progressivement de trouver du plaisir dans les moments que vous choisissez, votre cerveau va pouvoir quémander cette activité comme une nécessité pour se sentir bien.
– n’hésitez pas à ESSAYER, juste essayer. Si vous ne vous fixez pas des objectifs trop ambitieux, vous pourrez accepter d’ajuster vos choix et de voir éventuellement vos erreurs juste comme des expériences. Si vous choisissez de modifier votre choix quand au type d’activité, ou à la manière de la pratiquer, vous ne le verrez pas comme un échec, mais comme une expérience qui vous amènera au juste choix.
Avec plaisir pour échanger avec vos expériences…